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Secrétaire perpétuel (le l’Académie royale de médécïne.
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lu à la séance annuelle de l'Académie royale de Médecine, le 25 novembre 1845.
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Lorsque j’eus riionneur de prononcer devant vous 1 éloge de Desge-
nettés, je disais qitè, sous une plume éloquente, cet éloge eût aisément
pris le mouvement et léclat d un poème héroïque (i). -I oseiai dite au-
jourd’hui que, dans la bouche d’un Bossuet ou d un Héchier, 1 éloge que
vous allez entendre s’élèverait comme de lui-même à la dignité sainte
d’une oraison funèbre. Lai médecine a ses martyrs et ses gloires comme
la rfelicion: et si vous remettez un moment dans vos esprits les nobles
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(1) Mémoires de. /'Académie royale de médecine, t. VII » p. 111-
* * ” il
T. XII. u
n ÉLOGE
qualités qui forment le chirurgien militaire, la patience et le courage, la
douceur et la fermeté, la pitié la plus tendre et la sévérité la plus inflexi-
ble, une vigilance infatigable, un entier oubli de soi-même, un dévoue-
ment absolu pour les malheureux; et, lorsqu’il faut secourir la souffrance,
réparer les ruines dune organisation mutilee, et îallumci une vie pies
de s ‘éteindre, un génie inventif, dont les soudaines inspirations mettent,
pour ainsi dire, entre les mains desressouicesinespcices, et despioccdes
où la hardiesse est tempérée par la prudence, et l’audace par le sang-
froid ; si, dis-je, vous rassemblez toutes les parties de ce tableau, et si ce
tableau s’achève dans votre pensée, cherchez s’il est une seule de ces
vertus de l’ame, s’il est un seul de ces talents de l’esprit, qui ait manqué à
l’homme dont je dois vous entretenir, à l’un des plus illustres membres de
votre compagnie, à Jean-Dominique Larrey. Du reste, messieurs, vous
le savez, ce n’est pas dans un seul lieu, ce n’est pas dans le paisible cours
d’une vie tranquille et uniforme, qu’il a déployé des qualités si rares; il
les a signalées dans toutes les parties du monde, sur les mers et dans l’hor-
reur des tempêtes, sur les continents et dans le fracas des batailles; il les
a portées partout avec lui, à travers toutes les vicissitudes de la vie la plus
agitée, d’une vie rudement éprouvée par la fatigue, la faim, la soif, par
les ardeurs du Midi, parles frimas du Nord, et dans ces extrémités éga-
lement cruelles, toujours- semblable à lui-même, toujours plein d’éner-
gie et d’humanité. Critiques vulgaires, n’ayez pas le lâche et honteux cou-
rage de relever dans les écrits d’un tel homme quelques méprises de
noms, quelques erreurs de temps ou de lieux, quelques théories impar-
faites sur les phénomènes les plus impénétrables de notre économie. Sa-
chez que des taches si légères sont effacées par l’éclat de ses actions, et
que ce sont ses actions qui ont consacré pour jamais sa mémoire. On
n oubliera jamais que, non moins intrépide que le soldat dont il parta-
geait les destinées, il s’est plus d’une fois précipité sous le feu des canons
ennemis, dans des grêles de balles et de mitraille, pour arracher à la
mort les glorieuses mais déplorables victimes de nos tristes guerres:
que, pour les panser et pour les nourrir, il leur a fait plus d’une fois
abandon de ses vêlements, de son linge, de ses propres vivres; et que,
plus d’une lois, entouré par des milliers de plaies effroyables, de ces énor-
mes plaies du boulet et de l’arme blanche, on l’a vu soutenir pendant
trente heures, sans repos, sans nourriture, le pénible soin de remédier
à tant de maux; lasser par ses efforts ceux de ses auxiliaires les plus vi-
DE J.-D. LARREY.
III
goureux, Jes plus patients, les plus résolus; et, tout trempé de sueur et
couvert de sang, n abandonner enfin ce grand travail qu'a près le panse-
ment complet du dernier blessé. En déserter un seul eût été pour lui pire
que la mort. Voilà ce qu’a fait Larrey pendant les vingt-deux années d’une
guerre sans exemple dans les annales du monde ; voilà ce qu’il a fait, les
années suivantes, dans le service des hôpitaux militaires : service où ne
se représentent que trop souvent, même eu pleine paix, des accidents
non moins désastreux qu’à la guerre. Voilà aussi, messieurs, ce qui doit
être l’éternel objet de vos hommages. Y substituer dans nos souvenirs de
vaines et puériles remarques serait un sacrilège et une impiété. Mais il
est temps d’entrer dans les détails d’une vie que toutes les nations ont
honorée, et qui a été pour la chirurgie française, que dis-je? pour la
France elle-même, un des plus glorieux ornements.
Jean-Dominique Larrey naquit en 1766 à Baudéan, village de la vallée
de Campau, aux pieds des Hautes-Pyrénées. Ses Mémoires n’apprennent
rien sur sa famille ni sur sa première éducation. A treize ans, il fut envoyé
à Toulouse, où l’un de ses oncles, Alexis Larrey, était chirurgien-major
et professeur du Grand-Hôpital. Cet oncle [lui fit faire ses études au
collège de l’Esquille, et le mit ensuite au nombre des élèves auxquels il
euseignaitla médecine. On a vu dans l’éloge d’Esquirol à combien de tra-
vaux divers et avec quels succès étaient appliqués ces élèves (1). En 1 787,
Larrey vint à Paris. Il apprend à son arrivée qu’un concours est ouvert
pour des places de chirurgiens de la marine. Entraîné par son instinct
pour les voyages, il concourt, il est nommé, il se rend à Brest. Chemin
faisant, il salue à la Trappe le tombeau d’Adélaïde et du comte de Coin-
minges; à Laval, l’humble demeure où Ambroise Paré vint au monde. A
Brest, après deux examens, les officiers de santé en chef de la marine le
nomment chirurgien-major des vaisseaux du roi; faisant en cela violence
à 1 usage, car Larrey n’avait pas vingt et un ans, et n’avait pas navigué.
On préparait une expédition cpie des raisons politiques firent contre-
mander. On licencia la plupart des nouveaux chirurgiens. Larrey lut du
petit nombre de ceux que l’on conserva. Il eut ordre de s’embarquer,
en sa qualité de chirurgien-major, sur la Vigilante, frégate qui allait, à
1 île de l erre-Neuve, protéger la pêche de la morue. Ici, tout est nouveau
pour Larrey, même dans son service. Néanmoins tout fut prévu, réglé,
* * ‘ * ’ > ■ ' ’ *
(1) Mémoires de l Académie royale de médecine, t. Xt, [). xxxiu.
jY ÉLOGL
conduit, comme l’eût fait une expérience consommée. C’est quel activité
de l’esprit supplée à tout. Dans le récit qu il a lait de cette première
campagne, vous trouvez de curieuses observations de medecine, dhis—
toire naturelle et de climatologie; des infortunes de pauvres naufragés,
touchantes comme les épisodes de 1 () tli/ss&c , et dans les sauvages de ccs
âpres régions, des traits d’humanité qui feraient honneur aux peuples les
plus polis. Parti de Brest en avril, Larrey y rentra en octobre; et pen-
dant ces six mois passés sous le ciel le plus inégal, et malgré la gravité
des maladies aiguës ou chroniques dont fut affligée plus de la moitié de
l’équipage, sur quatre-vingts personnes, Larrey n’eut à regretter aucune
perte. La frégate désarmée, Larrey fut libre, et revint à Paris.
On entrait dans le grand hiver de 1789, et tout ensemble dans nos
calamités politiques. Cette année, et les deux années suivantes, Larrey
suivit, sous l’illustre Desault et l’illustre Sabatier, le traitement des pre-
mières victimes de nos discordes. Bientôt s’alluma cette guerre dont les
feux ont, pendant plus de vingt ans, embrasé l'Europe et troublé toutes
les parties du monde. Le 1er avril 1792, Larrey était à Strasbourg avec
les fonctions de chirurgien-major des hôpitaux de l’armée du Rhin. Dès
les premiers pas, c’est-à-dire dès les premières victoires de cette valeu-
reuse armée, Larrey fut frappé de 1 imperfection du service chirurgical.
C’est à une lieue du champ de bataille que se tenaient les ambulances.
La bataille terminée, ces ambulances rencontraient dans leurs mouve-
ments des milliers d’obstacles, et vingt-quatre, trente, trente-six heures
s’écoulaient avant que le blessé reçût aucun secours: abandon cruel, et
plus meurtrier que le fer même de l’ennemi. Saisi de pitié, Larrey conçut
le dessein d’une ambulance aussi légère, aussi mobile, aussi rapide que
l’artillerie volante. Quelques essais portèrent cette ambulance à sa per-
fection. Elle fit sur lame du soldat la même impression que fit autrefois
sur toute une armée la seule présence d’Ambroise Paré.' Sûr d’être promp-
tement secouru, le soldat se crut invincible; et plus d’une fois Larrey a
recueilli lui-même les heureux fruits de sa belle invention. Dans l’exposé
de la grande bataille livrée le 22 juillet 1793 pour dégager Landau et
Mayence, le successeur de Custine, Beauharnais, se plaît à relever les ser-
vices éminents de l’ambulance, ainsi que les infatigables soins de son au-
teur; et cette justice que le général victorieux rend à Larrey, Larrey la
rend à son tour au zèle de ses collaborateurs, aux lumières du médecin
en chef Lorentz, aux talents de ses collègues Percy et Lombard, qui cou-
I)E J.-D. LAltREY.
V
couraient avec lui au bien-être de l’année e*L à la conservation des bles-
sés. Au mois d’avril suivant, Larrey reçut l'ordre de se rendre à Paris
pour organiser des ambulances sur le modèle de la sienne, et les établir
dans les autres armées, car la France eu avail alors quatorze.
Mais la Corse était depuis un an dans la main des Anglais. Pour la leur
arracher, on levait une armée dans le Midi. Larrey u’eut pas le temps
de songer à ses ambulances. On le fit partir pour Toulon, avec le titre
de chirurgien en chef de cette nouvelle armée. Une Hotte l’attendait à
Nice, où elle avait pris des troupes de débarquement. Bloquée dans le
port par une flotte ennemie, elle ne put mettre à la voile, et l’expédition
fut abandonnée. Appelé à l’armée des Pyrénées-Orientales, Larrey se
rend en Catalogne. Il assiste à la prise de Figuièrcs, à la mort de Dugom-
micr, au siège et la presque destruction de Poses, mal défendue par ses
rochers et par les rigueurs de l’hiver. Les combats, les assauts, la terrible
explosion des redoutes espagnoles, et le froid lui-même, produisirent des
morts, des brûlures, des gangrènes et des plaies à profusion. Une seule
journée de cette courte guerre en donna près de 700, dont 200 très
graves. Dans les douze premières heures, opérations et pansements, tout
fut achevé par Larrey, secondé de quelques aides. La paix laite avec
1 Espagne, il court à Paris, respirer un moment dans le sein de sa famille
et refaire sa santé délabrée. Mais un nouvel ordre le renvoie pour la
troisième fois à Toulon; et , dans les loisirs que lui laissait la lenteur des
préparatifs militaires, il fit, à la sollicitation d’un grand nombre de chi-
rurgiens de terre et de mer, il fit ce qu’il a fait partout, des leçons d’ana-
tomie et de chirurgie théorique et pratique; leçons qu il éclairait parties
expériences sur des animaux vivants; ne refusant, du reste, ses services à
personne, et s’appliquant chaque jour à étendre ses connaissances : car,
je le déclare une fois pour toutes, dans quelque situation qu’il se trouvât,
jamais Larrey ne perdait l’occasion de voir et d’observer, ni même de
communiquer ce qu’il avait appris.
Mais, professeur volontaire à Toulon, il le fut bientôt d’office à Paris.
On venait de créer au Val-dc-Grâce nue école de médecine militaire. Il
y fut appelé pour occuper une chaire. Il se proposait, avec scs collègues
Dufouard, Chayron, Desgenettes, de donner à l’enseignement une étendue
illimitée, et de faire de l’école une véritable académie. Vain espoir! La
dui’ée de ses cours fut à peine de deux années. Encore fut-il contraint
de les interrompre pour une course à l’armée d’Italie, où l’on voulait des
V1 ÉLOGE
ambulances volantes. On les voulait apparemment pour l’avenir, ou pour
des entreprises ultérieures; car, en Italie, il n’y avait plus de guerre. Par
la destruction de cinq années formidables, les meilleures de 1 Empiie,
et sous les plus habiles généraux ; par la prise de Mantoue, l’anéantisse-
ment de l’oligarchie vénitienne, la soumission de Rome et la répression
des révoltes, le génie de Bonaparte avait, en deux campagnes, mis sous
les pieds de la France cette belle partie de l’Europe. Toutefois, Larrey
parcourt les principales villes de la Haute-Italie, visite les hôpitaux, y in-
troduit des améliorations, propose surtout d’y attacher des écoles d’ana-
tomie et de chirurgie, forme des ambulances, les fait manœuvrer sous les
yeux du général, qui s’en montre satisfait; en établit trois pour les trois
divisions de l’armée; règle le traitement,de quelques typhus et d’une épi-
zootie cruelle; a le singulier bonheur de voyager avec Desaix, et de voir
à Pavie Spallanzani et Scarpa, comme il avait vu à Mayence Starck et
Sœmmerring; rend compte à Milan de sa mission, et, comblé de marques
de satisfaction, revient à Paris renouer son enseignement. Presque aussi-
tôt il est mandé à l’armée d’Angleterre. J’insiste sur cette succession de
déplacements presque instantanés, parce quelle fait voir quel était le
rapide mouvement qui, dans ces temps de gloire et de malheur, empor-
tait çà et là les hommes et les choses.
Mais, au centre même de ce tourbillon, un grand dessein s était formé.
Bonaparte avait depuis longtemps les yeux sur l’Orient. J ai essayé dans
l’éloge de Desgenettes de montrer par quelle série de sentiments et
d’idées Bonaparte, froid et recueilli dans l’éblouissement de ses vic-
toires , faisait de la conquête de l’Égypte l’objet constant de ses médita-
tions favorites. Il voyait dans cette conquête l’empire de la Méditerranée
pour la France et l’équivalent de toutes les colonies quelle avait per-
dues. Il y voyait pour lui-même un vaste champ, où il allait déployer
sans obstacles l’esprit créateur dont il se sentait aninlé. Sans obstacle,
ai-je dit; car en portant la civilisation dans le sein même de la barbarie,
il se flattait de soumettre toutes les volontés, moins par la terreur de ses
armes que parla persuasion et l’intérêt; par la modération et la justice de
ses actes ; par une protection et des bienfaits de tous les instants; par le
respect le plus inviolable pour les moeurs, la religion, les habitudes. A
l’égard des obstacles plus éloignés que lui susciterait la jalousie des na-
tions , il en appelait à sa vigilance, à sa fortune, à la victoire. En un mot,
il allait changer la face de l’Orient, ranimer les sciences dans leur ber-
DE J.-D. LA'RREY.
VII
ceau originel , y réveiller tous les arts utiles , donner au monde l’exemple
unique d’un pouvoir fondé sur la force et l’équité, et réaliser ainsi, je
ne dis pas les projets de Sanuto , de Ximeuès ou de Leibnitz, mais ceux
mêmes d’Alexandre , et se faire une gloire supérieure à la sienne ; car
Alexandre était né roi, et son père lui avait mis dans la main toute la
Macédoine et toute la Grèce.
Vous savez, messieurs, avec quel art profond, avec quelle maturité
cette grande expédition fut préparée, avec quel empressement elle fut
favorisée par le Directoire, avec quelle fidélité le secret en fut dérobé à
l’inquiète curiosité de toute l’Europe. Vous savez aussi que, comme
Alexandre, Bonaparte marchait avec la Macédoine et la Grèce, je veux
dire avec la force, le courage et le savoir, qui montèrent avec lui sur la
flotte. Larrey avait été mandé à l’armée d’Aqgleterre ; c’était l’être à
l’armée d’Orient. Il vole à Toulon. Médicaments, linge , instruments,
tout ce que demandent les nécessités de la guerre , tout est réuni par ses
soins, tout est mis en caisse et embarqué. Des chirurgiens manquent. Il
en demande de partout. Montpellier, 'Toulouse, l’Italie, lui en envoient
cent huit, tous jeunes geus, tous instruits, tous pleins de courage et de
résolution. Il les distribue sur les vaisseaux. Enfin, le i3 mai 1796, la
flotte lève l’ancre ; elle paraît sur la mer, elle marche ; et, ralliant à me-
sure quelle avance des vaisseaux partis de Bastia, de Gênes, de Civita-
Vecchia, elle arrive complète, le 9 juin, sous l’île de Goze , elle 10 de-
vant Malte. Elle demande de l’eau. Malte conteste, est menacée , s’épou-
vante et se rend. En neuf jours tout y est changé. Le 19 juin la flotte
reprend la mer; elle est le 28 devant la terre basse de l’Egypte. L’armée
débarque. Le 3 juillet , Alexandrie est prise. Le 6, Bonaparte marche sur
le Caire. Ce feu d’action, qui se répandait dans toute l’armée, était soh
arme la plus redoutable. Larrey avait la même ardeur. En courant sur
les pas du général, d’Alexandrie au Caire, du Caire à Suez, de Suez à
Saléhieh, el-Arisch, Gaza, Jaffa, Saint-Jean-d’Acre , Nazareth, dans la
funeste expédition de Syrie, et, après sa rentrée en Egypte , d’Aboukir
à Héliopolis, Larrey semblait créer d’une parole des ambulances, des
hôpitaux, des appareils, des écoles et des cours de chirurgie militaire;
s arrêtant sur des champs de bataille tout fumants de carnage, ou se jetant
sous le coup même qui venait de frapper Caffarelli, Lannes , Arrighi ,
Beauharnais et tant d’autres; s identifiant avec toutes les douleurs pour
en assoupir la violence par de doux pansements, pour en abréger la
VIII ÉLOGE
durée par ces grandes opérations dont la seule image effraie, et que la gra-
vité du mal ne permet pas de différer; enfin pour en adoucir 1 amertume
aux braves soldats, aux braves généraux dont il recevait les derniers
soupirs ; tellement menacé lui-même qu’il voyait tomber autour de lui ses
collaborateurs, je dirai mieux, ses émules de courage et d’humanité;
ayant à lutter d’ailleurs contre toutes les privations, contre un ciel de
feu, contre des vents meurtriers, contre la plus insidieuse et la plus cruelle
des maladies, contre la peste; la peste qu’il rencontrait partout, et qui ,
se glissant par mille voies inconnues jusque dans le sein des hôpitaux,
donnait la mort aux malheureux que ses habiles mains avaient sauvés.
Ici , messieurs, que chacun de nous s’interroge; que chacun de nous se
transporte un moment dans ce torrent de périls, de désastres et de gloire;
et que, l’esprit chargé de soucis, le cœur navré de tristesse, le corps brisé
de fatigue, il se demande s’il aurait eu le temps, la force, la volonté de
suffire, comme Larrey, à une vaste correspondance; de rédiger, comme
lui, des instructions; d’étudier, comme lui, des maladies qui pouvaient
lui rester étrangères; d’écrire, comme lui, de savantes remarques sur
l’hépatitis, la lèpre, l’éléphantiasis, le sarcocèle, la syphilis, si répandue
et en général si bénigne en Egypte; sur le scorbut et l’ophlhalmie ; sur
une sorte de fièvre jaune si semblable à celle des Antilles, et pourtant si
différente; sur le danger des petites sangsues que le soldat avale en se
désaltérant, et qui, implantées sur un point du pharynx ou des fosses
nasales, échappent à la vue, et causent des hémorrhagies quelquefois
mortelles? Enfin , qui de nous aurait eu, comme lui, la patience de re-
cueillir sur tant de maladies si diverses cette longue suite d’observations
individuelles que l’on rencontre , pour ainsi dire, à chaque page de ses
Mémoires? Et cependant, là ne s’arrêtent point les vues de' Larrey; il
les porte sur une infinité d’objets qui intéressent les arts, les sciences, la
philosophie : par exemple, sur l’incubation artificielle, pratique dont
I invention se perd dans l’obscurité des premiers temps; sur la médecine
actuelle des Egyptiens, laquelle n’est pas même l’ombre de l’ancienne
médecine; sur la variole et l’inoculation; sur la circoncision, l’infibula-
tion , et cette sorte de suture par laquelle la plus barbare des passions,
la jalousie , terme chez les jeunes filles l’entrée des organes sexuels ; sur la
population de 1 Egypte , c’est-à-dire sur les races très diverses dont elle
est composée , et qui en sont comme la vivante histoire; sur l usage des
bains, si favorable à la fécondité des femmes; sur l’état des momies, la
DU J.-D. LARREY.
IX
division de l’année, l'agriculture, et quelques points delà botanique et
de l'histoire naturelle. Il termine par la peinture de l'Égypte, lorsqu’à
l’ouverture de la troisième année de leur séjour, les Français, paisibles
possesseurs, après tant de victoires de celte contrée magnifique, s’appli-
quaient chaque jour à la rendre plus belle , plus riche et plus facile à
défendre, en améliorant, eu décorant l'intérieur des villes, en établis-
sant des voies de communication , en nettoyant les ports de mer, en éle-
vant des manufactures et des forteresses; infaillibles gages de grandeur
et d’opulence qui eussent tourné à la félicité de tout le genre humain;
chef-d’œuvre de sagesse que nous eût envié la sublime philosophie des
Grecs. Mais sur l'horizon qui l'environne, au nord, à l’est, au midi,
s'élèvent des nuées qui apportent la guerre et la destruction. Veuve de
ses premiers généraux , l’armée en les perdant a perdu sa fortune. Les
triomphes fout place aux revers, et aux revers les plus cruels. Séparée
d’avec elle-même, affaiblie, défaite par l’ophtbalmie, par le scorbut,
par la peste , avant d’être même entamée par l’ennemi, l’armée précipi-
tant sa perte par sa bravoure, et traînée dans son propre sang jusqu’aux
vaisseaux qui l’attendent, l’année, désormais sans espoir, consent à re-
tourner en France. Toujours digne d’elle et de lui-même , dans ce grand
désordre, Larrey en accompagne les tristes débris. Tous saluent d’un
adieu de douleur les rivages de cette brillante contrée qui semble s’éloi-
gner d’eux pour jamais ; de cette contrée qu’ils aimaient déjà comme
une seconde patrie, et qui leur est arrachée au moment où elle allait
devenir dans leurs mains la région la plus délicieuse de la terre. Ainsi
s’évanouit ce rêve du génie , auquel allaient succéder d’autres rêves en-
core plus grands peut-être, et d'un réveil encore plus funeste.
A son arrivée à Marseille, Larrey reçut la plus touchante récompense,
et la seule consolation que son cœur pût goûter. Toute l’armée, jointe à>
ses confrères , vint, par des acclamations unanimes, honorer son courage
et ses services. Le gouvernement consulaire était formé; ce gouvernement
.avait une garde. Larrey dans son absence en avait été nommé chirurgien
eu chef. 11 l’apprit par les lettres flatteuses que lui adressait le ministre
de la guerre, Alexandre Berthier. Rendu à Paris, et favorablement ac-
cueilli par le premier consul, Larrey prend son service, compose sa
Relation chirurgicale clé l'armée <1 Orient , ouvre des cours de chirurgie
militaire expérimentale , songe à satisfaire à la nouvelle loi sur la méde-
cine; et le to mars i8o3, sous la présidence de son vénérable maître,
T. XII. ' b
ÉLOGE
l’illustre Sabatier, il soutint à l’École de médecine sa thèse inaugurale
sur les amputations, thèse qu’il a refondue plus tard dans unJYIémoire
général, et tel que le voulait une expérience plus étendue, mais qui
alors eut les suffrages de ses maîtres, et lui mérita le titre de docteur
en chirurgie. Larrey est le premier de nos temps modernes à qui ce titre
ait été déféré.
Ce serait ici, messieurs, le lieu de vous parler de nos changements
politiques, et de la puissance de ce principe d’unité qui, n’étant pas
dans nos esprits, était dans nos moeurs, et nous ramenait de vive force à
la forme du gouvernement que nos témérités avaient proscrite, et que
nos anarchies rendaient de plus en plus nécessaire. La république fut pro-
scrite à son tour. Des millions de suffrages élevèrent le premier consul à la
dignité d’empereur; et voyez les suites. Un empereur, un chef militaire
d’une nation belliqueuse; une nation enivrée de ses triomphes, et chaque
jour plus éprise de la dangereuse gloire des batailles: qu’est-ce que tout
celaPCen’est plus une nation; ce n’est plus qu’une masse de soldats, ce n’est
plus qu’un régiment armé contre l’Europe, ou plutôt contre le monde, et
conduit par un capitaine habile, intempérant de pouvoir et de renom-
mée, et qui, se plaçant, comme il le disait lui-même, sous la grande
coupole de l'histoire, n’aspire qu’à laisser dans le souvenir des hommes
une trace que le temps ne saurait effacer. Quelle inépuisable source de
guerres, de gloire et d’infortune! De là ces entreprises si malheureuses
et si vantées, qui, portant notre valeur et notre impétuosité dans tant de
contrées diverses, les remplissaient de terreur et d’admiration. Je n’en-
tends point vous raconter ces illustres et pointant stériles campagnes. Il
doit me suffire de vous rappeler celles où Larrey reçut l’ordre de suivre
nos ai mées. 11 les suivit dans les campagnes de Boulogne, d’Ulm, d’Aus-
terlitz, de Prusse, de Pologne, d'Autriche, de Russie, de Saxe et de
franco ; itinéraire qui seul fera un jour rélonnement de-la postérité. Ou
sera surtout frappé de voir la France clore celte longue nomenclature.
Ou en conclura que, par un retour inévitable des fatalités de la guerre ,
la France, qui avait couvert tout le continent de ses bataillons, a été enfin
refoulée sur elle- même, et qu’après avoir occupé toutes les capitales de
l’Europe, elle a vu la sienne envahie par les étrangers. Toutefois, les ar-
mées s’ébranlent , les campagnes s’ouvrent : marchons sur les pas de
Larrey. Magnifique et triste spectacle! Que d’exploits et de victoires!
que de villes emportées et de provinces soumises ! Mais aussi que de sang
DE J -D. LARREY.
XI
versé! que de cris lamentables! que de morts, éclatantes, obscures, di-
gnes d’admiration, dignes de pitié ! Et surtout quelles effroyables plaies !
Les batailles les plus heureuses, celle d Austerlitz , celle d’Eylau, et tant
d’autres , donnaient par milliers des blessures. A la vue de tant de maux,
quels qu’en soient le nombre et la gravité, le génie de Larrey s’élève avec
son courage. Cette rude et glorieuse tâche (glorieuse est le nom que je
lui dois), cette tâche qui va épuiser ses forces, les rend plus vives et plus
énergiques, et dans les longues heures qu’il y consacre , il s’oublie lui-
même jusqu’à contracter presque une paralysie incurable et souveraine-
ment incommode. Ici, du reste, plus de vaines distinctions ; les rangs n’y
sont plus marqués que par la douleur, et le plus humble soldat, s’il est le
plus souffrant, est le premier qui reçoit ses secours. Dans les soins d’une
pitié si généreuse, qu’il est merveilleusement servi par les ambulances
qu’il a créées, rapides et légères, qui 'semblent prendre des ailes pour
emporter au loin les malades à 20, 3o, <jo, 5o, 55 lieues, et les déposer
dans des asiles de paix et de sécurité ! Et ces soins, les bornait-il aux seuls
Français? Non, il les donnait encore aux soldats ennemis. Il avait dans
l’âme, il avait dans les mains, et jusque dans les doigts, pour ainsi dire,
cette touchante et sainte maxime de Térence, qui, entendue pour la pre-
mière fois au théâtre, émut si vivement tout le peuple romain : « Je suis
» homme : rien de ce qui est humain nest étranger pour moi. » Comment
une conduite en effetsi humaine, si courageuse et si noble, ne lui aurait-
elle pas concilié la vénération de toute l’armée ? Ses moindres actions
étant connues des moindres soldats, quels trésors de gratitude il s’amas-
sait dans leurs cœurs ! etquelbeau témoignage il enreçutdans une circon-
stance qui doit trouver place dans ce discours, et que, cependant, je ne puis
rappeler sans amertume. Souffrez queje reprenne les choses de plus haut.
Vous le savez, messieurs, nos armées avaient si souvent triomphé,
qu’on les crut invincibles. Une aveugle foi dans la fortune et la valeur de
la France finit par ouvrir une ère de malheurs et de revers inouïs. Le
trône de l’Europe était partagé. L’Occident était dans une main, l’Orient
dans une autre. Soit jalousie d’orgueil , soit défiance de l’avenir, et pour
donner une assiette plus ferme à une hiérarchie naissante , soit enfin pour
accomplir des desseins plus vastes, pour porter les aigles françaises au
sein même de l’Asie , pour y pénétrer plus avant que 11’avait fait
Alexandre, et frapper au cœur une nation rivale, l’Empereur, encore aux
prises avec le Portugal et l’Espagne, osa tirer le glaive contre la Russie :
1
XII
ÉLOGE
la Russie, qui remplit la moitié de 1 Europe et le tieis de 1 Asie, c est-à-
dirc la sixième partie de toute la terre ; la Russie, qui, tiiee depuis trois
demi-siècles seulement des ténèbres de la barbarie, marchera bientôt, le
front levé, à la tête des nations le plus formidables; la Russie, qui, après
n’avoir compté que six millions d’habitants, en compte aujourd’hui
plus de soixante millions, lesquels s’accroissent encore d’un demi-million
chaque année; la Russie, qui, dans son sol, ses forêts, ses plaines, sespàtu-
raees, ses lacs, ses rivières, ses mers, sesminesde fer, de cuivre, de platine
et d’or, trouve par son travail tous les moyens d’alimenter, d’habiller,
d’enrichir ses peuples, d’entretenir ses arsenaux, ses académies, ses
écoles; d’équiper scs flottes, de solder et d’armer ses 900,000 combat-
tants; la Russie, qui se compose, il est vrai, d’éléments hétérogènes, mais
unis, enchaînés, mus par une seule volonté ; nation invincible dans ses
foyers, et qui serait la terreur de toutes les autres, si les mouvements de
ce grand corps n’étaient ralentis par sa grandeur même , et si , dans ses
déserts du côté de l’Orient, la nature n’offrait à son activité de riches et
d’innocentes conquêtes.
Tel était l’ennemi que l’Empereur voulait abattre. Je n'entre point
dans les détails de cette guerre déplorable; mais parla situation des deux
adversaires, il était visible qu’elle serait funeste a l’agresseur. Jetée loin
de sa patrie, l’armée française devait, pour son salut, trouver tout dans
sa propre force. Elle traînait avec elle des alliés d’une foi contrainte et
suspecte , qui, ne voyant dans ses lauriers que la confirmation de leur dé-
faite antérieure, et par conséquent de leur propre honte, 11’avaient dans
le cœur que haine et défection , et n’attendaient pour la trahir que la plus
légère hésitation dans sa fortune; au lieu qu’appuyée, comme Antée, sur
sou territoire, où elle était servie à souhait par son obéissance passionnée
des siens, la Russie allait surtout l’être parle plus fidèle et. le plus redou-
table de tous les alliés , la nature, je veux dire la rigueur de son impla-
cable climat. Ainsi, d’un côté tous les dangers de l’attaque, de l’autre
tous les avantages de la défense, comme il arriva sous les croisades et sous
Charles Vil I. Dès ses premiers pas, notre armée rencontra des présages
sinistres. Pas de vivres, pas de fourrages, pas d’hôpitaux; et cependant
les marches rapides et forcées, les pluies, les bivouacs, les inconstances de
la température , multipliaient pour les hommes et les animaux les mala-
dies et les morts. Quelques combats y mêlaient des blessés en grand
nombre. Smolensk en eut jusqu’à 10,000 de toutes les nations. Les Russes
DIi J.-D. LARREY. XII I
semblaient fuir, dévastant leurs propres campagnes, détruisant leurs vil-
lages, brûlant leurs villes, et ne laissant entre eux et nous que des ruines
et des cendres; et dans ces cendres, des menaces terribles, et comme des
images de mort. Toutefois ces premiers combats nous étaient favorables.
Notre supériorité ne se démentait pas, et dans le transport d’une der-
nière victoire et l’enivrement de ses espérances, l’armée, qui soupirait
après un repos de quelques jours, courut se précipiter dans les flammes
de Moscou. L’histoire ne parlera qu’avec effroi de ce grand embrasement
qu’une résolution, dirai-je sublime? dirai-je frénétique? alluma sur les
confins de l’Europe et de l’Asie, pour l’étonnement et l’instruction de
toute la terre. Je le dis avec douleur : c’est dans cette mer de feu que
seteignit notre empire. C’est là que le monde a pu contempler dans toute
sou horreur l’affreux néant de la fausse gloire; car la véritable gloire n’est
point dans la force: elle est dans la raison, la justice, l'humanité; elle est
dans le génie bienfaisant d’un Socrate, d’un Marc- Aurèle, d’un Épictète,
d’un Rang- hi , d’un Franklin, d’un Washington, dïui Alexandre. Toute-
fois, il faut sortir de cette immense fournaise , où va s’asseoir la famine.
Mais l’armée n’cchappe aux fureurs de l’incendie que pour se livrer aux
fureurs de l’hiver. Les voyez-vous, ces différents corps épars çà et là, re-
poussés par une main invisible et toute-puissante, rebrousser chemin, et,
dans leur retraite malheureuse et précipitée, chercher leur route à tra-
vers d’immenses plaines blanchies par une neige épaisse, impraticable aux
chevaux , aux bagages, au simple piéton, qui a rejeté ses armes dont le
poids l’accablait; et sans cesse balayées par un vent chargé de brume et
de givre, inégal , impétueux, qui les pénètre, les transit, engourdit, en-
chaîne leurs mouvements, et trouble à la fois leur vue et leur esprit? Les
voyez-vous , dans les longues et froides nuits, marcher au hasard, à la
faible clarté des étoiles, s’égarer dans les forêts glacées, se diviser en pe-
lotons, se traîner, débiles et chancelants, jusqu’à des villages aban-
donnés, dans l’espoir d’y rencontrer un peu de chaleur et de nourriture;
et, rendus de fatigue et de douleur, tomber sans mouvement, et exhaler
leur dernier soupir?
C’est ainsi que des régiments, que des bataillons tout entiers fondent,
disparaissent et noircissent de leurs cadavres la surface éclatante de ces
plaines désolées. Le jour, ceux qui ont le malheur de survivre se réu-
nissent eu colonnes , et continuent lentement leur marche dans le silence
de l’abattement et de la consternation. Et quel mélange! quel désordre’
^jy ÉLOGE
quels accoutrements bizarres! Où est le drapeau? où est l’uniforme? où
est le comrnànderaent et l’obéissance? Mais, depuis Moscou , toute dis-
cipline est détruite. Sauf un très petit nombre, ce ne sont plus des sol-
dats, cene sont plus des hommes; ce sont, des ombres tremblantes, ce
sont des spectres livides, décharnés, mal couverts de lambeaux affreux;
ou, plutôt, c’est la faim dévorante, c’est l’ardente soif; c’est l’épuise-
ment , la nudité, le désespoir, soutenus seulement par la terreur que leur
inspire la vengeance insistante et cruelle qui les poursuit sans relâche,
le fer et la flamme à la main. Le canon gronde , l’ennemi approche ; il
faut marcher. Un fleuve se présente. De tous côtés, 'mort. Deux ponts
sont jetés. Les corps armés passent, la foule se précipite; de malheureux
fugitifs de Moscou, avec leurs femmes, leurs enfants, leurs bagages; des
soldats, des chevaux, de l’artillerie. De loin , dans le flot qui s’avance, on
aperçoit Larrey. Mille cris s’élèvent : « Sauvons celui qui nous a sauvés;
quil vienne , qu'il approche l » La foule s’écarte , Larrey touche le pont ,
et le voilà dans les bras des soldats qui le font passer de main en main
d’un côté du fleuve à l’autre: il est sauvé. Presque aussitôt, les ponts, sur-
chargés, fléchissent et croulent. Tout est jeté dans les glaçons du fleuve
et dans les marais voisins : hommes, femmes, enfants, soldats, chevaux,
canons, chars de guerre, tout tombe pêle-mêle > tout est écrasé, tout
meurt , tout est englouti pour jamais. O gloire ! ô idole de sang et d’or-
gueil! est-il désormais un cœur d’homme qui ose t’encenser? Et que de-
vient ton abominable prestige , quand on le compare à la tendresse de
cette jeune mère qui , plongée dans l’eau glacée du fleuve , élève au-dessus
de sa tête son faible enfant, pour le montrer à la miséricorde du soldat,
et goûte, en perdant la vie, l’ineffable bonheur de sentir qu’on l’enlève
de ses mains!
Ma is qu’ai-je fait ? Retenu et comme fasciné par ce tragique événement,
j’ai anticipé sur les actions de Larrey, ou plutôt je les ai cachées. J’ai
caché même une partie de cette fatale histoire, et je dois revenir sur
mes pas.
Dans cette suite de désastres , en effet , qu’attendez-vous de Larrey,
messieurs? Larrey partagea tous les périls, tous les travaux, toutes les
souffrances. Il remplit tous ses devoirs; et jamais ces saints devoirs ne
demandèrent plus de dévouement et de fermeté. Malgré les distances et
les difficultés des chemins, il était à la tête de ses ambulances et de ses
auxiliaires, la veille du grand jour, de ce jour fameux où, dans l’étroit
DE J.-D. LARREY.
XV
espace d’une lieue carrée, 600,000 combattants furent aux mains pen-
dant quinze heures , sous les feux entrecroisés de 2,000 pièces d’artillerie.
Jamais acharnement ne fut plus opiniâtre , ni mêlée plus sanglante et plus
affreuse. Elle nous coûta quarante généraux ; elle mit hors de combat
i3,ooo hommes , et sur ces r3.ooo hommes , on compta 9, 5oo blessures,
les nues mortelles sur-le-champ, les autres d’une telle gravité, que dans
les vingt premières heures il fallut emporter sur 200 malheureux un ou
deux membres. Quelque zèle que missent à le seconder ses élèves et la
plupart des jeunes pharmaciens, conduits par leur vénérable chef
M. Laubert, Larrey se réserva les opérations les plus difficiles. Il les con-
tinua sans distraction, jusqu’au lendemain, tout le jour, et jusque bien
avant dans la nuit suivante, par un temps froid et nébuleux, et mal
éclairé par une torche de cire enflammée, genre de secours qu’il ne de-
mandait que pour faire avec plus de sûreté les ligatures (1 ). Ce travail ac-
compli, Larrey se sépare de ses blessés pour accompagner l’armée, ilia
suit à Moscou. 11 entre avec elle dans ces rues longues, spacieuses, mais
désertes et muettes comme les avenues d’un grand sépulcre. Il a le cœur
saisi de cette solitude et de ce silence. Le feu paraît çà et là , sur les dif-
férents points; faibles d’abord, mais attisés par un fort vent de l’est et
du nord , ces foyers s’étendent , s’approchent en rugissant et se confon-
dent, faisant sortir de ses retraites une multitude effarée : des vieillards ,
des femmes, des enfants, que la chaleur étouffe, que des flammèches
atteignent et brûlent, que menace la chute des murailles, et qui cher-
chent vainement l’issue dq cet affreux labyrinthe; puis la flamme mar-
chant toujours d’une maison à l’autre , d’un palais à l’autre, d’un quartier
à l’autre, et rencontrant dans sa course des amas d’huiles, de résines,
d’alcool et de poudre, il se fait de moment en momeut des explosions
épouvantables, comme si la ville était un assemblage de volcans en fu-
reur, d’où s’échappent avec d horribles sifflements des gerbes de feu, qui
font élinceler jusque sur les nues leurs mille et mille couleurs, et d’où
s’élancent avec fracas des toitures tout entières , et des poutres enflam-
mées, qui vont au loin allumer un nouvel iucendie. Dans cette oeuvre de
(1) A Eylau, l’Empereur trouva Larrey pansant les blessés qu’une grande bataille
avait donnés; le lendemain à la même heure et au même lieu, l’Empereur vit encore
Larrey occupé au même travail. Larrey avait ainsi passé plus de vingt-quatre heures, les
pieds dans la neige, et n’ayant pour abri que quelques rameaux d’arbres verts.
XVI
ÉI.OGE
scs mains sacrilèges, que l’homme est petit et misérable ! Toutefois Larrey
avait suivi ses études favorites. A peine arrivé, il parcourt la superbe
Moscou ; il en visite les magnifiques hôpitaux; il en admire la splendeur
et l’opulence; il y voit pour ses blessés des ressources inépuisables :
Moscou, qui nage maintenant dans un océan de flammes; Moscou, qui ne
sera tout-à-l’heure qu’un amas de cendres. Tout est perdu. La retraite
est ordonnée. On veut prendre le chemin de l’Ukraine , où l’armée trou-
vera des vêtements et des vivres. Les passages sont fermés. On est rejeté
sur la route qu’on a suivie; route peuplée de ruines, où on n’aura pour
nourriture que des cadavres de chevaux. On allait rejoindre du moins
les malades et les blessés français et russes que l’on avait réunis en grand
nombre à Mozaisk , à Kolloskoï, à Giat , à Wiasma , à Smolensk, et que
venait d’augmenter encore la brillante journée où le prince Eugène fut
victorieux. Que ne puis-je, messieurs, vous arrêter à chacune de ces
stations diverses! Vous verriez Larrey visiter ici les blessés des deux na-
tions, choisir parmi les nôtres ceux qui peuvent rejoindre ou qu’on peut
transporter, et en assurer le transport; réunir les autres aux blessés
russes, leur fournir à tous quelques vivres, et attacher à leur service
des officiers de santé français ; là, recevoir les remerciements des officiers
russes qu’il a opérés et qui sont guéris, les secourir de quelques dons, et
recommandera leur gratitude ceux de nos compatriotes que leur triste état
retient encore dans les hôpitaux; plus loin, passer des nuits, soit à parcourir
des ambulances, soit à panser d’anciens blessés ou des blessés échappés à un
combat de la veille ou du malin, soit à opérer des malheureux dont les
membres fracturés n’ont pu être conduits à la guérison ; soit enfin à arra-
cher aux flammes des malades affaiblis qu’il faut ensuite abandonner.
Telles sont, messieurs , les fatigues et les douleurs que Larrey eut à souf-
frir ; tels sont les tristes soins dont il fut occupé , tantôt seul et réduit à
lui-même, tantôt avec lesecours de quelques femmes^jénéreuses, et sur-
tout de quelques hommes excellents que nous avons perdus, F. Ribes,
Lerminier, Mestivier; en un mot, voilà ce qu’il a fait, depuis la sortie
de Moscou jusqu’à la catastrophe de la Bérézina.
Ce qu’il a lait, ai-je dit? je n’en rapporte qu’une faible partie; et, qui
le croirait.1’ les maux qu’il a soufferts, les maux qu’a soufferts 1 armer ,
ne sont que l’affreux prélude de maux encore plus aflreux. Je me trompe.
A Wilna , ceux de l’armée sont au comble, et pour en peindre tout
l’excès, l’histoire n’a point eu d’assez fortes couleurs. A Wilna, ou d
XVII
DE J.-D. LARREY.
arrive exténué, Larrey va chercher un asile à l’hôpital de la Charité. Il
y est admis. Les vénérables soeurs qui en font le service l’environnent de
soins bienveillants. Il sort de son abattement, il respiie, et, 1 anime par
un repos de quelques heures, il court aux hôpitaux. Il réunit dans celui
qui l’a reçu, il remet à la charité des sœurs, et les chirurgiens malades,
et les officiers supérieurs blessés; il pourvoit aux besoins de tous les
autres, et leur laisse des lettres qui les recommandent aux médecins de
l’armée russe. Mais ils eurent bientôt dans 1 humanité d Alexandie une
protection toute-puissante. Cependant l’armée reprend sa marche; 1 ar-
mée, si l’on peut appeler de ce nom quelques milliers de fantômes des
mains de qui le froid fait tomber le fer qui aurait pu les défendre; défi-
gurés par les glaçons qui pendent à leur chevelure, à leur barbe, à leurs
sourcils, à leurs cils; qui se pressent, qui s’appuient les uns contre les
autres pour se soutenir et se réchauffer; si pauvres d’ailleurs, et si grotes-
quement équipés, qu’ils seraient un objet de risée, s’ils ne ! étaient de
pitié, et si leur extrême misère n’arrachait des larmes. Malheur à qui,
tenté du doux sommeil que le froid insinue , cède un moment à ce charme
mortel. S’il fléchit, s'il se laisse couler à terre, il ne se relèvera plus. C’est
ainsi qu’à mesure quelle avance , la colonne de ces infortunés voit tomber
à chaque pas quelques uns des siens , et qu’en semant sa route de cadavres,
elle arrive à Kowno : Kowno , où Larrey trouve les hôpitaux remplis de
malades. Il met à les séparer, à les choisir, à les expédier, à les protéger,
la même vigilance et la même activité. Mais l’état même des fleuves nous
livrait aux ennemis. Le Niémen était gelé à plusieurs pieds de profon-
deur. Les Cosaques le passèrent à pied sec, et nous prévinrent. Il fallut,
au sortir de Kowno, leur abandonner le trésor, le reste des équipages,
le reste de l’artillerie , tout ce qui pouvait nous assurer une ombre cle dé-
fense. Contents de celte proie, ils cessèrent enfin leur poursuite. Qu’a-
vaient-ils désormais à combattre? C’est alors , c’est après quelques jours
d’une marche tranquille, que les soldats étrangers, nos compagnons
d’armes, restés jusque là fidèles, rompirent une alliance qui leur avait
été si funeste, et prirent chacun le chemin de leur patrie. Les Français
suivirent seuls la route de Gurnbinen. Là, sécurité, repos, vivres, ha-
billements; la parurent, dans toute la sévérité de leur attitude militaire,
avec leurs chevaux et leurs armes, ces 3,000 hommes de la garde, les
meilleurs soldats de toute l’armée, les seuls qui eussent bravé toutes les
calamités de la retraite, et les seuls qui survécussent à une armée de
T. XII.
C
XVIII ÉLOGE
4oo,ooo hommes, la plus brillante du monde. Ils avaient à leur tête les
maréchaux ducs de Dantzick et d’Istrie. Eugène et Murat en occupaient
le centre : ce centre où s’étaient retranchés, dit Larrey, 1 honneur et la
gloire de nos armes. Or, ces hommes invulnérables étaient presque tous
du midi de la France, remarque sur laquelle Larrey reviendra dans un
moment.
Mais Kœnigsberg l’appelle. Nous avions dans cette ville 10,000 ma-
lades et blessés. Faute de place dans les hôpitaux, on en avait mis dans
des maisons particulières : c’était un service à surveiller. Larrey part; il
arrive dans la nuit du 2 1 au 22 décembre, par un froid de 20 degrés. 11
est reçu chez son excellent ami, le docteur Jacobi. Le jour venu, après
une visite générale, et de concert avec le médecin en chef, M. Gilbert,
toutes les mesures sont prises, tout est réglé. Les malades que l’on peut
transporter sont expédiés en traîneaux, ou sur la glace, pour Elbing, ou
pour Dantzick. U rend compte aux chefs de l’armée de tous les incidents
de la retraite. Il rédige pour les chirurgiens une instruction sur le traite-
ment des plaies de congélation, qu il assimile aux brûlures. Le 23, il est
pris tout-à-coup de cette sorte de typhus que produit l’impression du
froid, lorsqu’elle a été vive et prolongée , et qu elle a profondément dé-
térioré toute l’économie. L’habileté de son hôte vénérable le mit en état
de partir le 1" janvier suivant pour Elbing, d’où il se rendit à Posen et
à Francfort ; toujours soigneux, malgré sa faiblesse, d’améliorer, chemin
faisant , le service des hôpitaux. A Francfort, il eut un repos de quelques
jours; il en profita pour coordonner ses notes sur l’action du froid et
sur le singulier typhus dont je viens de parler. Souffrez qu’avec lui je
vous arrête un moment sur ces tristes objets.
De l’aveu des Russes, jamais l’hiver n’avait été plus rigoureux. Le ther-
momètre de Réautuur était descendu jusqu’à 28 degrés. L’armée était
constamment au bivouac. Les détachements n’osaient se tenir la nuit
dans des granges pleines de fourrages, de peur d’y être brûlés. Les che-
vaux, privés de couvertures, succombèrent les premiers, ils périssaient
à chaque pas, en foule, partout, et particulièrement la nuit. Les
hommes, dépourvus de fourrures, de manteaux, de capotes, pour peu
qu ils fissent halte , s’engourdissaient, tombaient, mouraient; surtout les
jeunes soldats, plus enclins au sommeil. Une division de 12,000 soldats,
tous jeunes; nen a ramené que 36o. Les sujets blonds, pblegmatiques,
• es hommes du Nord, bien que façonnés par le climat, étaient moins
DE J.-D. LAIIREY.
XIX
épargnés que les sujets bruns, sanguius, bilieux, nés dans le midi de la
France ou de l’Europe. Cependant, il y eut des nuits, en décembre, où
chaque bivouac laissait des quantités d’hommes entièrement gelés. Il en
mourut jusqu’à 10,000 dans une seule nuit. Une pâleur extrême, une
sorte d’idiotisme, la marche chancelante de l’ivresse, comme dans la
peste, une parole embarrassée, l’affaiblissement ou la perte de la vue,
étaient les avant-coureurs de la mort, que consommait une chute
presque toujours sur la face, quelquefois avec émission de l’urine, ou
avec hémorrhagie nasale, ainsique Larrey l’a vu sur les hauteurs de
Miéneski. Le seul moyen de prévenir ou de retarder une fin si malheu-
reuse était la marche; mais la marche suppose des forces, les forces sup-
posent de la nourriture , et on n’en avait pas. Heureux les possesseurs
d’un peu de vin, d’un peu de café! Passer brusquement de la famine à la
satiété, d’un congélation à une vive chaleur, quoi de plus mortel !’ Eu
s’approchant du feu des bivouacs, les uns y tombaient roides morts; les
autres avaient sur-le-champ les pieds, les mains, les parties saillantes
frappées de gangrène, et devenaient la proie de l’ennemi. Pieçus dans
des appartements trop chauds, d’autres se tuméfiaient, se boursouflaient,
expiraient sans proférer une parole. D’autres enfin, cédant à l’avidité de
leur appétit, étaient bientôt saisis de cette ataxie catarrhale de congéla-
tion qu’essuya Larrey, et qui ne diffère pas du typhus des armées, con-
tagion redoutable qui concourut avec tant d’autres fléaux à la destruc-
tion de nos phalanges, et qui se répandit dans tout le Nord , avec les sol-
dats que l’on transportait d’une ville dans une autre. Jugé favorablement
par une diarrhée passagère, par des sueurs brunâtres , par des hémor-
rhagies nasales, le plus souvent, au contraire, ce typhus emportait les
malades, laissant après lui un cerveau affaissé, dense, et coiffé d’une
couche d’albumine concrète, des intestins rétrécis , des vestiges d’épi-
ploons, des taches noires dans le larynx, et des escarres gangréneuses
à l’abdomen et aux extrémités inférieures. Ajouterai-je, avec Larrey, que
le froid prolongé fait quelquefois pénétrer dans le tissu cellulaire une
impression durable, qui, plus tard, se manifestera sur toute l’habitude
extérieure par une induration analogue à celles des enfants nouveau-nés ?
Voilà ce que Larrey, de retour en France, a vu sur quantité de jeunes
soldats de la nouvelle garde qui avaient fait la campagne de Russie.
Achevons cette triste campagne. Tout a changé de face. Les amitiés
ne sont plus les mêmes. Fortifié par nos alliés d’hier, l’ennemi s’avance
XX ÉLOGE
de partout, et à chaque moment, de même que notre armée, Larrey
change de situation : du 22 février au 3o avril, il passe de Francfort à
Berlin, à Wittemberg, à Leipsick, ville de science, que ravage le typhus;
à Halle, où il rend visite au fils de Meckel, et doù il fait enlever nos ma-
lades; à Magdebourg, où le service de la chirurgie devait etre assuré,
ainsi qu’à Halberstadt et Mersbourg; rencontrant, de loin en loin, quelque
nouveau combat, et recueillant dans ses hôpitaux quelques centaines de
nouveaux blessés. Car le terrible jeu de la guerre ressemble à la toile de
Pénélope; on y fait des contraires: on détruit d’un côté, on conserve de
l’autre,
La campagne est terminée, mais la guerre ne l’est pas. Deux autres
campagnes vont succéder, les dernières de l’Empire, celle de Saxe, celle
de France, où l’on ne combat plus pour étendre nos conquêtes, mais
pour défendre notre propre territoire contre toute l’Europe, et retenir
sur la pente qui l’entraîne le colosse qu’avait élevé notre courage, et qui,
dans quelques mois, malgré tant d’efforts héroïques et de sang répandu,
sera couché dans la poussière; toutes deux marquées, du reste, par la
même bravoure et les mêmes calamités; des combats, des batailles, des
victoires, des trahisons, des défaites, des maladies, et des blessures en
nombre effrayant. Le premier mois de la campagne de Saxe en donna
2*,ooo. Toutes deux enfin, expirant, la première par le désastre de
Leipzick; la seconde, parle moins prévu de tous nos malheurs, la prise
de notre capitale.
Je dois rappeler toutefois que, coupée pour ainsi dire en deux actes par
le congrès de Prague, la campagne de Saxe, malheureuse pour nous dans
sa première moitié, le fut encore beaucoup plus dans la seconde, puisque
notre armée fut rejetée du cœur même de la Silésie jusque sur le Rhin.
Aux 22,000 blessés dont j’ai parlé tout-à-l heure, et dont les batailles de
Lutzen, de Wurchen, de Bautzen , et six combats meurtriers, avaient
peuplé les hôpitaux de Lutzen même et de Dresde, il faut joindre les
1 3,ooo que donnèrent les sanglantes batailles de Dresde et de Warchau,
et ceux qu’une funeste méprise fit abandonner en grand nombre à
Leipzick, avec une partie de l’armée, des bagages, de l’artillerie, et tout
le matériel des ambulances. Nous perdîmes ce jour-là 3o,ooo hommes,
fie pont de cette ville fut, pour Larrey, comme le pont de la Bérézina.
Il venait de le traverser, avec la majeure partie de ses collaborateurs,
lorsqu’un ordre mal compris le fit sauter. Outre le soin que prenait
XXI
* DE J.-D. LARREY.
Larrey de préparer à l’avance et de tenir en lion état les hôpitaux, outre
le soin d’en assurer le service par le nombre et le choix des chirurgiens,
le plus souvent, la veille de ces journées malheureuses, il passait la nuit
à préparer les appareils, et le jour, après avoir distribué ses ambulances,
à faire panser, à panser lui- même sur place tous les blessés, se réservant
toujours les cas les plus difficiles, et faisant transporter sur-le champ les
malades dans les villes les plus voisines; en dernier lieu à Francfort et h
Mayence, comme il le fit après la vive bataille de Hanau contre les in-
fidèles Bavarois.
Mais à l’histoire de cette campagne se rattache un épisode qui, dans
la personne de Larrey, fait encore plus d’honneur à l’homme qu’au grand
chirurgien. Dans l’intermède des deux moitiés de la campagne, on re-
marqua que y, 632 militaires de toutes armes avaient les doigts tronqués,
et les mains percées par des balles. On disait que, pour se soustraire au
service, ils s’étaient blessés volontairement. L’Empereur indigné veut un
exemple. Autorisé par ce qu’il a vu en Pologne, et surtout en Espagne,
sur des soldais irréprochables, Larrey ose soutenir qu’il n’est pas un œil
capable de distinguer une blessure volontaire d’avec toute autre blessure,
et que l’imputation est une calomnie. C’était s’élever contre le sentiment
du maître. Il est seul de cet avis. Une enquête est ordonnée et un jury
formé sous sa présidence. Il a pour collègues un chirurgien principal,
trois chirurgiens-majors, et pour témoins deux officiers supérieurs délé-
gués par le grand prévôt de l’armée. Après le plus sévère examen sur
chaque mutilé, le jury déclare qu’il est impossible de prouver qu’une
seule des blessures inculpées ait été volontaire, et l’honneur des accusés
est proclamé avec leur innocence : jugement d’autant plus inattaquable
que les blessures de l’apparence la plus suspecte avaient été reçues par
des soldats d’une bravoure et d’un dévouement éprouves. En présentant
ces conclusions à l’Empereur encore tout ému, Larrey en appelle à sa jus-
tice, et il obtient deux choses: le renvoi des militaires ericore valides à
leurs différents corps, et une destination honorable pour ceux qui ne
pouvaient plus servir; deux mesures que l’Empereur adopte et qu’il étend
à tous les blessés de 1 armée. Ici, l’équité, toujours si nécessaire, était
d accord avec la politique. Les ennemis apprirent que notre armée n’avait
pas de courages équivoques. L’armé'e elle-même le sentit avec joie, et la
foi qu’elle avait dans ses propres forces n’en fut que plus vive.
Eu fyïypte, Larrey rencontrait partout ce typhus appelé peste, cette
XXII ÉLOGE
triste fille de l’humidité, de la chaleur et des cadavres; à son retour en
France, il rencontre à chaque pas, au milieu des populations effrayées,
cette autre peste appelée typhus, que la guerre traîne presque toujours
après elle; fruit meurtrier du froid, de la faim, de la fatigue, et des
peines de l’âme. En décembre, il s’arrête à Metz, où il songe aux moyens
d’améliorer les ambulances. Il fait, dans douze villes de l’est et du nord,
l’inspection des hôpitaux et des malades ; il rend compte au ministre de
la guerre des maux qu’il a sous les yeux. A peine arrivé à Paris, il reçoit
l’ordre de rejoindre l’armée pour la campagne de France; campagne
d’une durée si courte, d’une fin si funeste, et qui, semblable à un orage
violent et sombre, laissa percer mille et mille éclairs de’ ce génie guer-
rier, qui, vaincu en Russie par les éléments, en Saxe par la trahison , ne
pouvait l’être à nos portes que parle nombre; car cette fois l’Europe fut,
à la lettre, arrachée de ses fondements, pour être précipitée sur nous.
Cette campagne était la vingt-quatrième de Larrey. Comment le suivre
dans les mouvements rapides et tumultueux des armées, je dirais presque
dans ce lacis entrecroisé de combats et de batailles qui se livrent d’un
jour à l’autre, dans des lieux et avec des fortunes si diverses, et qui, mul-
tipliant à l’infini les blessures, lui laissaient à peine le temps de les voir
et d’y porter remède? Cependant jamais Larrey, jamais ses collègues,
ne soutinrent mieux l’honneur de la chirurgie militaire; jamais Larrey
n’eut à donner ses soins à de plus illustres victimes. Enfin, le licenciement
de la Grande-Armée mit un terme à ses longues fatigues, et lui permit de
reprendre les fonctions élevées, mais paisibles, qui en avaient été la ré-
compense.
Mais à l’empire détruit survivait l’esprit de l’empire. Larrey l’avait
dans le cœur. Ce cœur rempli de gratitude ne pouvait abjurer ses senti-
ments. Des regrets , des intérêts , des passions ourdirent l’entreprise des
Cent-Jours : fatale entreprise qui se termina brusquement par une se-
conde abdication ; avec cette différence que la première avait été glo-
rieusement disputée , pendant soixante-dix jours , par quatorze combats
et cinq batailles ; et qu’en dix jours, la seconde ne fut qu’une déchéance
éclatante , terrible , et comme un coup de foudre mortel. Charles XII,
après tant de triomphes, n’était plus qu’un artisan de malheurs. Envé-
loppé dans cette dernière infortune, Larrey, pris, blessé, dépouillé,
chargé de liens , traîné d’un poste à l’autre par les ennemis , près d’être
fusillé , reconnu par le chirurgien-major prussien qui lui met sur les yeux
DE J.-D. LARREY.
XXIII
le bandeau fatal; Larrey, conduit devant le général Bulow, devant le
maréchal Blücher, dont il avait autrefois sauvé le fils d’une mort presque
inévitable, Larrey fut enfin mis en liberté ; et, protégé par une escorte ,
il fut envoyé, malgré sa faiblesse, à Louvain, d’où il se rendit à Bruxelles,
où, ses forces se rétablissant par degrés , il les employait à visiter les hô-
pitaux et les malades; assistant au pansement des blessés de toutes les
nations, et retrouvant dans le nombre quelques uns de ceux dont il avait
pris soin sur le champ de bataille de Waterloo. Rappelé à Paris par les
chefs des trois puissances alliées, il eut hâte de s’y rendre, et le t5 sep-
tembre 1 8 1 5 il eut le bonheur de se trouver au sein de sa famille : de sa
famille , qui, pendant plusieurs jours, avait pleuré sa mort.
Lorsque les Guelfes et les Gibelins remplissaient toute l’Italie de leurs
sanglantes animosités, Grégoire X vint de Rome à Florence , et ses parti-
sans triomphaient. Il les réunit avec leurs adversaires, et leur tint ce dis-
cours : « Avant d’être Guelfes, avant d’être Gibelins , n êtes-vous pas des
» hommes ? et en qualité d’hommes , n ’êtes-vous pas des frères ? ne devez-
» vous pas vous secourir et vous aimer? » Le langage de ce divin pape
est celui de la médecine. Un médecin digne de ce nom , un chirurgien ne
voit dans les hommes que des êtres souffrants qu’il doit soulager. Il peut
avoir dans le cœur des affections, mais il n’a pas de préférences; et quels
que soient la couleur ou les sentiments de ses malades, ses devoirs sont
les mêmes, et il les remplit avec la même tendresse et la même chaleur.
Ne vous étonnez donc pas de voir Larrey ne refuser ses services à aucun
des gouvernements qui se sont succédé. Son art le fait citoyen du
monde et serviteur de tous les jaonimes. Honoré de toute l’Europe, il finit
par l’être de la Restauration. Il perdit, à la vérité, des fonctions dont un
nouvel ordre dans le service rendit la suppression nécessaire; il perdit
également la dotation de la Légion-d’Honneur. Une pension qu’il tenait
de la juste libéralité de Napoléon fut suspendue. Ces pertes, après toutes
celles que la guerre avait coûtées à sa famille, Larrey les ressentait, avec
raison peut-être, comme autant d’injustices. Il en était navré. Il songeait
à quitter la France. Des patries lui étaient offertes, en Russie, aux États-
Unis, au Brésil. Mais il fit diversion à ses chagrins parle travail. Protégé
d’ailleurs par sa renommée de savoir et d’humanité, aussi bien que par
1 attachement que lui portait la garde royale, il conserva la place de
chirurgien en chef du Gros-Caillou.
Bientôt une loi lui rendit la pension que lui avait méritée, après quatre
XXIV ÉLOGE
{grandes batailles, la grandeur de ses services. Cet acte solennel de jus-
tice, et le soin que prend l’auguste fondateur de votre Académie de
l’attacher à vous dès l’origine, achèvent de rendre Larrey à lui-même.
Son courage abattu se ranime. Il reprend le projet, depuis longtemps
formé, d’écrire, comme Ambroise Paré, un grand traité de chirurgie. Son
expérience ne lui suffit pas. Il veut consulter l’Angleterre. Il part avec
son jeune fils; son fils, dont les talents feront refleurir la gloire de son
nom. Ils parcourent celte heureuse, cette étonnante contrée; ils suivent
la pratique des grands maîtres : ils étudient dans toute leur économie
et , pour ainsi dire, dans tous les détails de leur structure intérieure, les
hôpitaux civils et militaires. Ils rapportent de là, pour la science et pour
l’administration, des lumières toutes nouvelles. Puissent les peuples ne
faire jamais l'un sur l’autre que ce genre de conquêtes, et n’échanger
entre eux que des services et des idées de sagesse et de bonté! De retour
à Paris, Larrey communique au ministère et à l’Académie des sciences
les résultats de son voyage; et bientôt, sur le rapport de notre hono-
rable confrère Dnméril , cette illustre compagnie l’admet dans son sein;
il y remplace l’éloquent professeur Pelletan. La révolution de juillet éclate.
Larrey reçoit les blesses de la Garde. Le troisième jour, un groupe de
furieux, la menace à la bouche , vient assiéger l’hôpital. Larrey se pré-
sente : « Quels sont vos desseins? qui osez-vous menacer? Sachez que ces
” malades sont a moi , que mon devoir est de les défendre , et que le
” vôtre est de vous respecter vous-mêmes en respectant des malbeu-
» reux. » Cette fermeté les arrête; ils se retirent, n’emportant avec eux
que des armes dont ils n avaient plus rien à craindre.
Je ne vous parle pas des courses qu’il fit peu de temps après dans les
Pays-Bas , dans une partie de 1 Italie et dans le midi de la France , ni de
ses remarques sur le danger de certains hôpitaux , ni de la réfo une qu’il
introduisit dans le traitement d une ophthalmie dont il a peut-être mé-
connu 1 origine et le caractère , marqué si nettement par M. Ca.ffe, ni de
celui qu il proposait contre le choléra de l’Inde , maladie qu’il attribue à
des nuées d insectes imperceptibles ; ne songeant pas que cette cruelle
affection, née dans le delta du Gange, s’est propagée dans mille lieux
divers, contre la direction des vents, ce que ne sauraient faire les insectes
qu il suppose.
Je m arrête un moment, messieurs. Jusqu’ici ma parole ne vous a
montré dans Larrey que l’homme ou la personne. Nous l’avons suivi sur
DE J.-D. LARREY.
XXV
ces grands théâtres où sa gloire se confondait avec celle de nos armes ,
et où les pins fermes courages étaient égalés par le sien. Il serait temps
de vous le présenter sous un autre jour, et de découvrir en lui le chirur-
gien. Mais, je l’avoue, cette seconde partie de ma tâche a des difficultés
qui m’effraient. J’ouvre les nombreux volumes que Larrey lègue à la
postérité; je les ouvre, et j’en vois sortir comme une fourmilière de ma-
ladies, les unes exotiques, c’est-à-dire familières seulement à des con-
trées étrangères; les autres, plus répandues, mais bizarres, étranges,
singulières, et presque exotiques par leur singularité même; cclles-ci
communes à tous les lieux , à tous les hommes, à tous les animaux qui les
servent; et finalement celles-là, non moins étranges, diversifiées à 1 infini,
et ne se montrant qu’avec les calamités de la guerre; toutes, du reste,
réclamant des secours que la main seule peut donner, et constituant ainsi
le domaine de la chirurgie proprement dite; et de même que, dans une
ville bien ordonnée, chaque classe de citoyens a une habitation distincte,
de même, pour bien étudier ces maladies, il serait nécessaire de les
ranger dans leurs quartiers , pour ainsi dire, en commençant par les ma-
ladies étrangères.
Là , vous rencontreriez la peste, la lèpre, l’éléphantiase , l’ophthalmie,
pour l’Egypte; la colique de Madrid, pour l’Espagne; la plique, pour la
Pologne. De ces six maladies, je ne rappellerai dans ce moment que la
première et la dernière, la peste et la plique; l’une trop grave, l'autre trop
singulière, pour être passées sous silence. Larrey décrit la peste avec une
partie de ses étonnantes variétés. Il la déclare contagieuse, et regarde
l’opinion contraire comme une de ces calamités de l’esprit plus redou-
tables que la peste même , car c’est par là que la peste s'étend et se mul-
tiplie. 11 la croit originaire de la Basse-Égypte et de la Syrie. La Syrie
reçoit la peste et ne la produit pas. La Basse-Égypte, le Delta , voilà au-
jourd’hui le seul foyer permanent de peste qui soit au monde. Depuis neuf
ans , Constantinople que l’on accusait n’a plus de peste. Elle s’en est dé-
livrée, ainsi que Smyrne et 1 île de Candie, par les quarantaines; et ces
quarantaines si blâmées et si salutaires n’en sauraient préserver l’Égypte.
L’amour de l’argent veut les abolir en Europe. L’amour de l’argent aurait
mieux à faiie. quil abolisse la peste, quil la détruise; car la peste n’est
point 1 œuvre de la nature, comme la chaleur et l’humidité ; la peste est
l’œuvre de l’homme, et l’homme peut l’anéantir; il ne faut que changer
1 Egypte. Pourquoi Montesquieu n’aurait-il pas raison?
d
T. XII.
ÉLOGE
XXVI
Je passe à la plique de Pologne , je veux dire à cet étrange entrelace-
ment, à cc feutrage inextricable des cheveux et des poils, qui prennent
souvent une longueur démesurée, et qu’abreuve, que nourrit, que cimente
un flux de lymphe coagulable et fétide. Ici , tout est problème, l’origine,
la nature, les causes, le caractère, et jusqu’à la réalité de la maladie.
Pareille au sphynx delà fable, aigle, femme et lion tout ensemble, la
plique, parles apparences quelle prend, par les vives douleurs, les
convulsions, les palpitations, les étouffements qui l’annoncent et l’accom-
pagnent , par les insectes qu’elle produit, et les bizarres instincts qu’elle
inspire, la plique serait tout à la fois teigne, syphilis, arthritis, phtiriase,
névrose, contracture. Des maux si divers sont-ils donc uniquement l’effet
de la malpropreté? La plique est-elle un vice plutôt qu’une maladie?
Larrey semble le croire; d’antres l’ont affirmé. Mais quoi! l’enfant qui
vient au monde avec la plique a-t-il été malpropre? Cette plique origi-
nelle fait assez voir que le mal est héréditaire. Ce triste héritage éclate
plus tôt ou plus tard : tantôt après les longues souffrances que je viens
d’énumérer, tantôt brusquement au milieu de la santé la plus florissante :
à ce point que de la tête la plus gracieuse et la plus belle, la plique fait
en quelques heures une horrible tête de Méduse. Dans le premier cas,
l’explosion tranche les douleurs; dans le second , elle les prévient. Et non
seulement la plique est héréditaire, mais encore elle est contagieuse.
Elle se transmet surtout par les vêtements , comme la gale , la variole, la
peste, le choléra. On pense même qu’elle a été apportée en Pologne,
il y a six siècles, par les Tartares, qui l’avaient reçue de l’Inde; et
l’Inde, d’où lavait-elle ? Obscurité désormais impénétrable. Mais il est
en toute chose un point initial que nous n’atteindrons jamais. Une fois en
Pologne, elle s’y est maintenue, comme se maintient en Europe une
maladie, comme elle héréditaire et contagieuse, la syphilis. La plique
vient même d’envahir le duché de Posen et d’y faire des progrès rapides.
A quels fléaux ne nous livre pas l'étonnante variété de nos organisations?
Du reste, en Pologne, les animaux eux-mêmes, les chevaux, les chiens,
et jusqu aux oiseaux de basse-cour, sont sujets à tous les caprices de la
plique; et s’il est prouvé parmi nous que la morve passe du cheval à
1 homme, faut-il s étonner qu’en Pologne la plique passe de l’homme aux
animaux? Deux choses également incompréhensibles, mais toutes deux
également réelles.
Plus j avance dans ce discours, plus je sens les difficultés grandir. Me
XX vu
DE J.-D. LARREY.
voilà devant ces immenses travaux qui ont rempli la vie de Larrey, et
qui forment, je le répète, une masse si pleine et si solide que je ne sais
comment l’entamer. Peut-être n est-il pas une seule maladie chirurgicale
que Larrey n’ait vue, étudiée, traitée; pas une seule qui ne lui ait sug-
géré quelques vues neuves, et quelques procédés parfaits. Ici, l'intérêt de
sa gloire me défend également de rien vous taire, et de tout vous dire.
Comment présenter, en effet, ou commeut dérobera votre admiration
cette suite presque infinie de faits curieux, singuliers, étonnanis, et ces
inventions ingénieuses , et ces pratiques heureuses et hardies, qui font
tout ensemble le charme et le prix de ses Mémoires? Étrange alternative !
Larrey, dans cet éloge, semblerait s’appauvrir par sa propre richesse.
Dans les langueurs de son génie, un poète invoque les muses. Il est
des muses que j’invoquerai à son exemple : votre indulgence et votre
respect pour la mémoire de Larrey. Elles m’applaudiront d’abréger mon
travail , et de réserver pour vos mémoires ces grandes leçons de chi-
rurgie que Larrey donnait à ses contemporains , et qui feront vivre son
nom dans la postérité. La postérité le bénira surtout d’avoir créé ses am-
bulances ; d’avoir tranché , sans retour, entre Faure et Boucher, la ques-
tion fondamentale, touchant l’excellence de l’amputation primitive, dans
les grandes plaies par les armes à feu; d’avoir tiré de l’oubli les appa-
reils inamovibles; et d’avoir enseigné, par l’emploi du feu, que le
comble de l’art serait de déplacer à souhait les principes des mala-
dies, et de leur ouvrir à l’extérieur une issue qui en dissiperait les élé-
ments.
Nous touchons, messieurs, au dernier acte de la vie de Larrey; au
dernier acte de ce grand drame, illustré partant de travaux utiles et
d’actions glorieuses, et traversé par tant de fatigues et de péripéties. Plus
que septuagénaire , son activité, loin de s’éteindre, semblait croître avec
les années. On lui avait ôté nue de ses fonctions, celle qu’il eût préférée
à toutes les autres. Il ne pouvait supporter le loisir qu’on lui avait fait;
c’était comme une injure qu'il brûlait de laver par de nouveaux services.
Que ne peut l’habitude, et surtout 1 habitude de faire le bien ! En 1 84 1 , il
sollicite l’honneur d’inspecter les hôpitaux de l’Algérie. Il en reçoit en
iSja la mission officielle. Le i5 mai, il quitte Paris avec son fils, qu’il
a pris pour secrétaire. Le 20, il est à Toulon, le 2.3 à Alger; et du 24 au
1er juillet, c’est-à-dire en cinq semaines, il a visité toutes les villes du lit-
toral , toutes les villes de l’intérieur et tous les hôpitaux , jusque dans les
XXVIII
ÉLOGE
moindres détails. Son fils recueille sur les hommes et les choses , sur
les abus à réprimer et les améliorations à faire, des notes qui font le
texte d’un rapport au ministre. Parmi les zouaves de la Maison-Carrée ,
Larrey retrouve un ancien mamelouk de l’Egypte. Des deux parts, éclair
de bonheur. A Bone , il pratique sur un Arabe l’amputation de l’avant-
bras, que rendait nécessaire un poiguet mutilé. C’est la dernière opération
qu’il ait faite. Ce dernier voyage ne fut pour lui qu’une suite de triomphes.
A Alger, à Oran , à Philippeville, à Constautine, partout, comme en
Irlande , en Ecosse , en Angleterre , en Italie, il reçoit les hommages de
la chirurgie militaire et les empressements des autorités. J’ajoute que ce
fut aussi pour lui une rapide succession de fatigues excessives et d’émo-
tions profondes , qui ébranlèrent jusque dans ses fondements cette consti-
tution jusque là si vigoureuse et si ferme. Le 5 juillet , il repart pour la
France, emportant avec lui le trait fatal. Un catarrhe qui lui est habi-
tuel s irrite, s’élève et menace. Il débarque à Toulon; on consulte; on
reconnaît une pneumonie grave. Des soins et du repos présagent la gué-
rison ; mais il fallait attendre; Larrey, impatient, brusque tout et part(i).
A Avignon, le mal est plus grand. Sourd aux tendres supplications de son
fils et aux vives prières de son ami Gouraud, Larrey n’y reste que trois
jours; et le 9.4, il arrive à Lyon , dans un état désespéré d’épuisement et
de iaiblesse. Des médecins sont appelés. La mort avait déjà la main sur
cette noble proie. Le 25, dans la matinée, une lettre de Paris apprend à
son fils que sa mère n’existe plus; et le soir, à cinq heures, Larrey lui-
même a cessé d’exister.
Ainsi disparut du monde cet homme intrépide, laborieux, vigilant,
infatigable , qui ne respirait que pour être utile aux hommes : cœur gé-
néreux, cœur ouvert, qui se donnait tout entier aux malheureux, sans
autre intérêt que le bonheur d’exercer son inépuisable pitié; plein de
tendresse pour les siens ; et par ce mot, j’entends non seulement les ma-
(1) Voici pourquoi Larrey hâtait son retour avec tant de vivacité. Lorsqu’il partit, sa
femme était malade; cette maladie fit bientôt des progrès alarmants. Larrey le savait. Il
lui semblait que sa femme l’appelait, pour qu’il recueillît ses derniers soupirs. Jamais cœur
d’homme n’eut pour sa famille un plus tendre attachement. De 1805 à 181A , au milieu
de ses extrêmes fatigues , Larrey trouva toujours le temps de donner à sa fille, aujourd’hui
madame Pétier, les plus touchants témoignages de souvenir. Ces témoignages, madame
1 ericr les conserve avec une piété religieuse.
DE J.-D. LARREY.
XXIX
Jades et les blessés que lui donnait la guerre, et qu’il traitait avec tant
de sollicitude, mais encore ses propres auxiliaires , comme s’il en eût
formé pour lui-même une famille toujours nouvelle et toujours aussi
chère : s’oubliant sans cesse pour eux , comme M. Gasc, comme plusieurs
d’entre vous. MM. Bégin , Emery, Therrin , Jourdan , Gaultier de Clau-
bry, Poirson , Lagneau, etM.Ferrus lui-même, en ont été si souvent les
heureux témoins; n’ayant de douleurs que leurs douleurs , et n’en éprou-
vant pour lui-même jusqu’au transport que lorsqu’il les supposait privés
des moindres secours; et qui, enfin, enveloppé dans ces événements
pleins de gloire qui seront l’éternel étonnement de la postérité, y a tenu
sa place avec dignité, et a été grand parmi les grands. Larrey était
membre de l’Institut de France, comme il lavait été de l’Institut d’É-
gypte. Il appartenait à toutes les Académies d’Europe et d’Amérique. Il
appartenait à la vôtre, messieurs, et lorsque cette Académie était divisée
en trois sections, il n’a presque pas été une séance de la section de chi-
rurgie où Larrey n’ait mis sous vos yeux quelques beaux résultats de ses
études et de ses opérations. De combien de pièces importantes n’a-t-il pas
enrichi les musées d’anatomie pathologique! Il serait superflu de rap-
peler ici tous ses titres; mais il en est un que je ne peux passer
sous silence, c’est celui d’honnête homme, c’est celui d’homme
vertueux, dont l’a décoré le testament de Napoléon. Quel éloge!
et dans quelle bouche ! Ce titre n’est-il pas supérieur à toutes les digni-
tés? On dirait qu’honorer la vertu dans la personne de Larrey a été
la dernière pensée de l’Empereur. Honorer la vertu! Pensée digue d’un
prince qui connaît tout le vrai fond des choses humaines. C’est qu’en
effet rien n’est plus nécessaire aux hommes que la vertu. C’est par la
vertu que les sociétés subsistent. Otez du milieu des hommes la vertu , la
probité, la foi réciproque, cette foi qu’adoraient les Romains, il n’est
plus rieu de noble , il n’est plus rien d’assuré dans les affaires de ce
monde, et le genre humain lui-même s’anéantit. Il est un autre mot de
l’Empereur qu’a rappelé G. Breschet, et que je dois rappeler : « Si jamais
1 armée élève un monument à la reconnaissance, c’est à Larrey quelle
doit le consacrer. » Le monument s’achève : il va paraître sous les aus-
pices de l’armée et delà France; il sera digne de Larrey : il sort du ci-
seau ou plutôt du génie de David.
XXX
ÉLOGE
FRAGMENT OMIS A LA LECTURE PUBLIQUE.
A l’égard de la lèpre, si les récits que l’on m’a faits en Orient ont été
fidèles, la vraie lèpre de Moïse aurait à peu près disparu du monde.
Un médecin fort éclairé, que j’ai connu en Chypre, n’en avait rencontré,
dans une pratique de dix-huit ans, qu’un seul exemple. La lèpre que
décrit Larrey n’aurait avec celle de Moïse que des rapports fort éloignés;
elle en aurait de plus intimes avec leléphantiasis. Ces deux maladies
auraient les mêmes causes ; elles seraient l’une et l’autre héréditaires;
elles auraient dans leurs premières apparences de grands points de simi-
litude; mais, bien que stationnaires dans les mêmes contrées, cependant
l’éléphantiasis affecterait plutôt les lieux bas et humides, tels que les
bords de la mer ; et la lèpre, les lieux élevés, secs, et même déserts, de
la Haute-Egypte. À ces différences s’en joindraient d’autres. Dans l’élé—
phantiasis, les extrémités prennent une tuméfaction prodigieuse, entre-
coupée d’étranglements et d’atrophies; dans la lèpre, les pieds,, les
mains, les jambes, les bras, se détachent et tombent comme dans les
maladies de l’ergot. Enfin l’éléphantiasis ne se transmet point par con-
tagion ; la lèpre au contraire est contagieuse, selon Larrey; elle l’est sur-
tout par les vêtements, comme l’est la peste, comme l’aurait été la lèpre
de Moïse ; mais, il faut l'avouer, elle ne le serait que très rarement. Eu
Chypre, dans le Liban, cette transmission serait démentie par lexpé-
rience. Au reste, les contagions, sur cette question si complexe et si sou-
vent agitée , quelle est encore , sinon l'ignorance, du moins l’incertitude
des médecins!
Jusqu’où ne va point cette incertitude? L’ophthalmie semble avoir
pour patrie 1 Egypte. Elle y était des milliers d’années avant la peste;
elle est encore le premier objet que rencontre le voyageur. Ceux de nos
médecins qui en ont marqué la nature et les causes, Bruant, Savaresi,
Desgenettes, Louis Frank, et Larrey lui-même, en parlent diversement.
Du reste, en Egypte, pas de hameau, de village, de bourg, de ville qui
n olfre à chaque pas des yeux enflammés , gonflés, altérés , éraillés, défor-
més, crevés, perdus. Une extension si grande ferait entrer dans l’esprit
que ce mal esL contagieux. L’est-il en effet? Larrey ne s’en explique pas;
mais, en Egypte, entrez avec des yeux sains dans le réduit d’un oph-
DE J -D. LARREY.
XXXI
thalmique, vous on sortez avec des yeux malades. Toutefois, le mal
franchit-il les limites de l'Égypte pour se répandre au loin, comme la
peste? Antre point en litige. Que se passait-il sous saint Louis lorsqu'il
institua les Quinze-Vingts ? On l’ignore. Attachons-nous à ce que nous
avons vu. Rapprochons les faits, les lieux, les dates. En 1801, les armées de
France et d’Angleterre sont en Egypte; elles ont des ophthalmies; elles
quittent l’Égypte pour rentrer en Europe ; l’ophthalmie marche avec
elles, on la voit à Malte, à l’île d’Elbe, à Gibraltar, dans des villes
d'Espagne, de Sicile, d’Italie, d’Angleterre. Elle se montre avec les
armées, presque partout, jusque dans la Hongrie et la Pologne. Enfin
par le déplacement, le mélange, la fusion, la dispersion des armées , les
soldats de presque toutes les nations, Russes, Prussiens, Autrichiens,
Bavarois, Hollandais , Suédois, Anglais, Belges, ont l’ophthalmie, et,
tandis que la France est épargnée, c’est dans une contrée limitrophe,
c’est en Belgique que, pendant trente années, elle a déployé tous scs
maléfices. Mais cette ophthalmie est-elle l’ophthalmie d’Egypte? Elle
en a tous les caractères, et ces caractères en font une maladie tout autre
que les ophthalmies connues : aussi est-elle pour la Belgique une ma-
ladie nouvelle. Est-elle réellement contagieuse ? Elle l’est à ce point
que pour la contracter il suffit, comme en Egypte, d’entrer dans l’atmo-
sphère d’un ophthalmique; à ce point qu’un navire qui a transporté des
ophthalmiques donne l’ ophthalmie aux passagers qui leur succèdent.
Enfin, est-ce de l’Egypte qu’elle est venue? Où serait la merveille de
voir en Europe ce qu’on voit en Amérique? La même ophthalmie est
portée au Brésil par des noirs d’Afrique, et les noirs d’Afrique la reçoi-
vent de l’Egypte par des communications intérieures. L’ophthalmie de
Crimée a-t-elle la même source? Quoi de plus probable? Est-ce que la
Crimée est absolument étrangère à l’Egypte? et serait-il si extraordinaire
qu après avoir répandu ses sciences dans le monde, l'Egypte y répandit
maintenant ses maladies ? Qu’auraient d’étrange ces migrations, après
celles du choléra? De peuple à peuple, le mat et le bien se précipitent
ou se traînent également sur le globe. Née en Chine, l'inoculation n’est
venue jusqu’à nous qu’après des siècles , à travers la Tartarie et l’Europe.
La variole, qui a fait inventer l’inoculation, serait peut-être originaire
de la Chine plutôt que de l’Arabie. N’oublions pas que dès les premiers
siècles , et sans doute dans des temps antérieurs , l’orient et l’occident de
l’Asie étaient liés par le commerce de terre et de mer. Le pouvoir de la
XXXII ÉLOGE
Chine s’est étendu jusqu’à la mer Caspienne; elle communiquait avec la
Perse, l’Arabie et l'Égypte. Du reste, il faut l’avouer à l’égard de l’oph-
thalmie, au milieu des nations qui en étaient affectées, l’immunité de la
France autorisait à rejeter tonte idée de contagion. Larrey n’y croyait
pas. J’achève. Dans toute contagion , il est un point initial qu’il faut con-
naître et détruire; en détruisant la peste, ne détruirez- vous pas l’oph-
thalmie ? Ce qui se passe dans une ville du Japon justifierait mes paroles.
J’insisterai peu sur la colique de Madrid , sorte d’endémie très limitée,
particulière à une seule ville, sur les causes et la nature de laquelle on
n’a pas été moins partagé; qui ne dépend d’aucune inflammation viscé-
rale; qui semble tenir de la colique de plomb et du choléra-morbus,
aussi douloureuse que la première , moins dangereuse que l’une et l’autre,
et dont, s il en faut ci oii e ce que me faisait 1 honneur de me dire à IVIa-
drid, quelques années plus tard, l’illustre Luzuriaga, Madrid serait pour
jamais délivrée.
Laney a ti anche sans retour, entre Faure et Boucher, une question
fondamentale pour la chirurgie militaire. 11 a découvert par les faits,
t est-à-dii c pai 1 évidence même, que, dans les grandes plaies par les
ai mes a feu, i amputation primitive 1 emporte sans comparaison sur l’am-
putation consécutive; il a marqué les indications précises qui rendent
nécessaire cette amputation primitive.
Pour 1 amputation du bras dans l’articulation scapulo-bumérale, il a
mis en pratique au-delà d une centaine de fois un procédé de son inven-
tion, le meilleur peut-être que l’on connaisse, et duquel il a obtenu des
succès remarquables. A Wagram seulement, sur quatorze cas il a réussi
douze fois. Pour l’amputation coxo-fémorale, il a employé le premier un
procédé analogue.
1 o u tes les fois qu’il est possible d’amputer la jambe dans l’épaisseur
des condyles du tibia , et il enseigne à reconnaître cette possibilité, il a
montré que cette amputation est préférable à celle de la cuisse ou du
genou.
Ln membre est-il affecté de gangrène traumatique, n’attendez pas
pour amputer que le sphacèle soit limité : moins il reste de parties mortes .
plus la vie reprend de chaleur et d’action.
J’ai parlé de ses ambulances volantes : d’où célérité des premiers
soins; d’où sécurité contre les premiers accidents des plaies, et spéciale-
DE J.-D. LARREY.
XXXIII
menl contre les hémorrhagies; d’où enfin sentiment de confiance et de
protection mis dans le cœur du soldat.
Il ne veut pas qu’on réunisse immédiatement les plaies par amputa-
tion, ni qu’on lève trop tôt le premier appareil; il veut qu’on donne au
moignon une situation où il jouisse d’un parfait repos.
A l’égard des pansements, dès ses premières campagnes et toujours,
il a préconisé l’application du linge fenêtré. Manquait-il de charpie, de
compresses, de bandes, de pièces d’appareil? il y suppléait par du
chanvre, de la mousse, du drap, et, comme je l’ai dit, par son propre
linge. Ses exemples sont des leçons de chirurgie et de bonté.
Il veut de plus que les pansements soient rares. Après le premier, et
je dois dire l’unique pansement d’un bras amputé, des blessés ont fait à
pied le chemin de Russie et de Pologne en France, et sont arrivés gué-
ris. Ils n’avaient rien changé à leur appareil : seulement, de temps à
autre, ils avaient eu soin d’en absorber l’humidité avec une éponge.
C’est sur ce principe que, pour le traitement des fractures, il a tiré
de l’oubli l’heureux principe de l’immobilité dans les plaies. 11 les a fait
construire, ces appareils inamovibles, qui sont un des plus grands bien-
faits qu’ait reçus la chirurgie militaire, et que la chirurgie civile a géné-
ralement adoptés.
11 a fait voir que la reproduction ou, si l’on veut, la consolidation des
os est surtout l’œuvre des vaisseaux sanguins; œuvre de laquelle toutefois
on ne saurait exclure cette force invisible qui vivifie tout, et qui, pour
une nouvelle ostéogénie, emploie selon ses vues les matériaux de con-
struction qu’ont apportés les vaisseaux.
Dans les plaies compliquées d’accidents inflammatoires ou de suppu-
rations profondes, spontanées ou entretenues par des corps étrangers,
il faisait des débridements , des incisions, des contre-ouvertures, qui
dénouaient les difficultés et faisaient marcher à la guérison.
Pour les plaies de tête, Larrey marque avec précision le traitement
quelles exigent, et surtout les cas qui nécessitent le trépan. Dans l’oc-
clusion des ouvertures du crâne, il montre que la dure-mère n’entre
pour rien dans cette opération naturelle.
Un coup de sabre abat un nez, et laisse au milieu du visage une plaie
hideuse. On peut la masquer par l’artifice et les bésicles d’Arson et Boulu ;
on peut la couvrir par la peau du front. Larrey fait mieux : il prend la peau
des joues ,1 attire des deux côtés , la joint, l’assujettit par des sutures, et 1^
XXXIV
ELOGE
soutient élevée par des appuis de gamme élastique. Le nez est refait, et
la cicatrice n’est qu’une ligne à peine perceptible.
A propos des blessures graves de la face, il indique avec netteté com-
ment se cicatrisent les parties molles, telles que la peau et les muscles,
et les parties dures, telles que les os maxillaires.
Que ne puis-je, messieurs , vous entretenir des étranges plaies que
reçurent dans la région du cou Murat, jArrigbi et quelques autres! Arri-
ghi, qui eut une artère coupée; Murat, qui perdit la moitié de l’épi-
glotte. Mais M. Duméril en a suffisamment parlé dans son rapport à
l’Institut, et j’ai hâte de passer aux blessures de la'poitrine.
Aux plaies qui pénètrent dans cette cavité, s’associent ou succèdent
quelquefois des accidents que Larrey apprécie avec sagacité , particu-
lièrement l’emphysème traumatique, dont les planches de sou ouvrage
renferment une image effrayante: aussi prescrit-il de fennersur-le-champ
les plaies du thorax. lies signes, les effets, les suites des épanchements,
il les expose d’une manière neuve et rationnelle; et les succès qu’il ob-
tient dans l'opération de l’empyème , par un procédé qui lui est propre ,
l’autorisent à vanter et le procédé et l’opération.
Je ne puis tout dire, messieurs, et je voudrais ne rien taire pour
épargner, à moi la honte, et à vous 1 ennui d’une énumération si sèche et
si maigre de tant de précieux travaux (car, dans cet éloge, Larrey semble
s’appauvrir, moins encore par mon incapacité que par sa propre ri-
chesse); souffrez que je vous renvoie à ce qu il vous dira lui-même dans
son grand ouvrage sur les plaies pénétrantes de l’abdomen , et les lésions
de chacun des viscères abdominaux; sur plusieurs affections des voies
urinaires , et spécialement de la vessie ; organe si diversement blessé par
les armes à feu , et dans lequel ne stationnent que trop souvent des corps
étrangers, des balles, des os, des caillots de sang, des calculs de natures
et de formes si variées; sur un mode d’opération si ingénieux et si simple
de la fistule anale; sur les moyens de traiter diverses maladies des or-
ganes génitaux; sur le traitement de l’hydrocèle par le séjour d’une sonde
élastique; sur quelques maladies de la colonne, le rachitis proprement
dit, le mal vertébral et les abcès par congestion.
Du reste, messieurs, vous le savez, le fer et le feu étaient dans les
mains de Larrey les instruments de cette mâle chirurgie qu’il voulut
laire revivre. La médecine la plus ancienne, celle de son fondateur et de
tous les chefs de sectes , les nomades des pays froids et des pays chauds ,
DE J.-D. LARREY.
XXXV
les Arabes du désert , les Scythes, les Sarmates d'IIippocrate et les Li-
byens d’Hérodote, aussi bien qne les Ostiaks de nos jours ; enfin tout
l’ancien monde, la Chine, l’Inde , le Japon , et surtout l’Égypte, lui don-
naient l’exemple : cette Égypte si bien étudiée par Prosper Alpin, cette
Égypte si bien connue de Larrey, son disciple et son imitateur. Avec le
fer rouge il limite et détruit l’érysipèle traumatique; il ouvre les vastes
abcès pblegmoneux, et ces abcès par congestion dont je parlerai tout-
à-l’heure; le feu qu’il y porte raffermit toute l’organisation, et arrête
les hémorrhagies graves que ne peuvent arrêter les ligatures. Avec la
mèche enflammée ou le moxa, il combat l’ophthamie, l’amaurose, les
névralgies et les paralysies traumatiques, et la coxalgie fémorale; der-
nière affection sur laquelle il a laissé des remarques dignes d’être médi-
tées par tous les praticiens. Enfin, par le moxa, il a guéri des ané-
vrismes profonds , comme on guérit en Égypte jusqu’au sarcocèle, et par
là il apprend que le comble de l’art serait de déplacer à souhait les
principes des maladies, et de leur ouvrir à l’extérieur une issue qui en
dissiperait les éléments.
D.-J. LARREY a publié :
ï. Mémoire sur les amputations des membres à la suite des coups de feu , étayé de plu-
sieurs observations. Paris, 1797. Thèse in-à. *
II. Relation historique et chirurgicale de l’expédition de l’armée d’Orient, en Égypte et
en Syrie. Paris, 1803, in-8.
III. Mémoire sur la plique, inséré dans les Mémoires de l'Institut [savants étrangers).
Paris, 1811, tome II, in-4.
IV. Mémoires de médecine et de chirurgie, et campagnes militaires. Paris, 1812-1818.
k volumes in-8.
V. Considérations sur la fièvre jaune. Paris, 1821, in-8 de 36 pages.
VI. Recueil de mémoires de chirurgie. Paris, 1821 , in-8 de 320 pages avec quatre
planches. Ce volume contient : De l’usage du moxa ; — mémoire sur le siège et les
effets de la nostalgie; — notice sur les propriétés de la membrane iris ; — notice sui-
tes plaies des intestins; — mémoire sur la rupture du col du fémur.
VII. Mémoire sur les plaies pénétrantes de la poitrine , inséré dans les Mémoires de
l'Académie royale de médecine. Paris, 1828, tome Ier, page 221 à 250, in -k.
XXXVI OUVRAGES PUBLIÉS PAR D.-J. LARREY.
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VIII. Clinique chirurgicale, exercée particulièrement dans les camps et les hôpitaux
militaires depuis 1792-1826. Paris, 1829, 1832, 1836. — 5 volumes in-8 avec deux
atlas contenant quarante-sept planches.
IX. Mémoire sur le choléra morbus. Paris, 1831, in-8 de Zi8 pages.
X. Relation médicale de campagnes et voyages de 1815 à 18A0 , suivie de notices sur les
fractures des membres pelviens, sur la constitution physique des Arabes, et d’une
statistique chirurgicale des officiers généraux blessés dans les combats , et pansés sur
les champs de bataille. Paris, 18A1, in-8 de A00 pages.
Indépendamment de ses ouvrages, D.-J. Larrey a publié un grand nombre de
mémoires et d’articles dans le Bulletin de la Faculté de médecine , dans le Diction-
mire des sciences médicales, le Journal complémentaire des sciences médicales , la
Description de l’Égypte, les Mémoires de l’Institut, le Recueil de mémoires de mé-
decine et de chit'urgie militaires , etc.
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Paris. — Irnpr. de Bourgogne et Martinet, rue Jacob, 30.